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Coup de pompe sur la tangente
Un bip. Une question apparaît sur l'écran du distributeur : « Digitare km »
C'était un dimanche soir froid et brumeux, dans une station-service déserte au bord de la Tangenziale Sud. J'ai toujours eu horreur des dimanches soir.
J’avais atterri ici dans l’espoir de refaire le plein, l’aiguille du réservoir flirtant dangereusement avec le zéro absolu. Un panneau, planté de travers à l’entrée de la station, annonçait comme une promesse, « Self service, 24h/24 ». Près des pompes, un distributeur automatique semblait disposé à cet effet. Sur son flanc, un schéma indiquait la procédure à suivre : introduire le montant souhaité en euros, indiquer le numéro de sa pompe, payer : c'était l'affaire d'une minute.
Je m’étais présenté devant le distributeur, avais tenté en vain d’enfourner dans la machine un billet trop froissé, puis lâché quelques jurons bien sentis avant d’introduire ma visa card.
L’écran s’était illuminé. Et c'est là que les ennuis avaient commencé...
Un second bip m'arrache à ma torpeur. L'écran affiche toujours :
« Digitare km »
Je me retourne. Cherche de l'aide. Pas un chat. J’hésite. Je tergiverse.
Je sens une vague de panique me submerger, une panique palpable et familière, qui me ramène quelques années en arrière.
Oral de maths. L’examinateur silencieux attend, imperturbable, la réponse à une question dont le sens même m’échappe, la première et dernière question de l’épreuve, et moi, scotché au tableau noir, les doigts crispés sur ma craie, je lui souris d’un air entendu tandis que ma vision se trouble; un goût métallique afflue dans ma bouche, des auréoles apparaissent sur ma chemise blanche.
Reprendre le contrôle. Vite. Je pose :
Soit x la consommation de carburant en ville. Soit y la consommation sur autoroute. Soit r le ratio autoroute/ville sur un trajet t. Soit v le volume du réservoir. Soit c le volume de carburant restant.
Concentration. Efficacité. Calme. Tout ira bien. J’ai trouvé.
J’écris : 400. Tout de même, il y a quelque chose de pas net. Un truc qui cloche. Je sens bien que cette satanée machine essaie de m'embrouiller. Et si elle me retire 400 sacs ? Et si je me retrouve avec 400 litres d' unleaded gasoil ? Mais non, ça n’aurait pas de sens. Ah ouais. Parce que « Digitare kms » ça a du sens ?
Nouvelle vague d’angoisse. Vertige. Goût métallique. Auréoles. Nausée. Trou noir. Sang. Mort. Chienne de vie.
Mais non. Je me reprends. Tout ira bien. Je vais d'abord faire un essai : 10. Tout ira bien. Valider.
L’écran bourdonne. S’éteint. Se rallume.
« Opération invalide. Veuillez insérer une carte Bancomat »
La machine recrache ma carte.
« Grazie e arrivederci »
L’écran s’éteint pour de bon, et l’obscurité envahit la station.
Un sac en plastique déchiré tourbillonne entre deux pompes avant de disparaître derrière la route.
Je reste là, prostré dans la pénombre, ma carte à la main, adossé à une voiture en rade d'essence. Je reste là, immobile, partagé entre une profonde lassitude, et l’étrange soulagement de celui qui n’attend plus rien.
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Extrait de "Une Bancomat pour l'inspecteur Mac Patty", by P. L. Droughouths
Traduit de l'américain par Sandy L. Hufferns.
13 octobre 200610:30 Publié dans Etrangetés locales | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : italie, station-service, roman noir piémontais
Commentaires
J'ai franchement kiffé cet article mon cher PLD. A quand la suite des aventures de l'inspecteur? quelle est donc la signification de cet étrange message comme envoyé de l'au delà? Et arrivera-t-il à quitter ce dimanche et à atteindre le lundi? putain des questions, des questions, mais à quand la réponse??? le suspense est insoutenable.
Écrit par : yannack | 16 octobre 2006
j'en plus papat !!! lache nous le roman please !!! et il est comment cet inspecteur ? c'est quoi son passé ? si ca trouve c'est lié à son enfance difficile élevé par sa mere alcoolique et son pere, tombé dans la depression et entraineur d'une pauvre equipe de baseball americain de jeunes... bref... hate d'avoir la suite !
J'en profite pour faire un mega hug Sandy Hufferns !
Écrit par : greg | 16 octobre 2006
merci les enfants, votre impatience fait plaisir à voir...mais bon en fait y a pas vraiment de chute à cette histoire :-))
l'inspecteur mc patty s'est résolu à attendre le lundi matin pour faire le plein à une pompe avec un mec en chair et en os à la caisse voilà tout. C'est pas très rocknroll mais bon que voulez-vous.
Écrit par : patrick | 17 octobre 2006
Ah mais alors il n'était pas vraiment en rade d'essence! à moins qu'il n'ait attendu SUR PLACE?? Bon. a-t-il eu peur au moins en rentrant chez lui? et a-t-il jamais appris ce que voualit dire "digitare km"? a-t-il essayé de rouler en roue libre en coupant le moteur en descente, comme certains keuts paumés en oregon? Je suis troublé par cet article.
Écrit par : yannack | 17 octobre 2006
bon, oui oui ok j'admets que pour renforcer le caractère dramatique de la scène j'ai peut etre un peu grossi le trait. En vérité il me restait peut etre juste assez (mais vraiment vraiment pas beaucoup quand meme hein) d'essence pour rentrer a la maison et revenir le lendemain a la station. Sans avoir a rentrer en roue libre comme certains rigolos. Alalah Yannick ton esprit critique digne des experts manhattan me pousse dans mes derniers retranchements :-)
sinon non toujours aucune idee de l'utilité de la question "digitare km". Le mystère reste entier, étant donné que depuis cet incident je me tiens à une distance respectable de ce genre de machine.
Écrit par : patrick | 18 octobre 2006
Mc Patty, je suis de nouveau dans le business garcon.
En realité je suis stupéfait par cette histoire et j'y pense souvent en allumant ma Marlboro dans un détour de paname.
Je pense que pour résoudre l'énigme il faut aller chercher du coté de ces 2 mots: "digitare" et "km"... "km" comme kilomètre ? nul ne le sait... et sans doute nul ne le saura jamais ! Mais quand même Mc Patty, ne crois tu pas que c'est bizarre quand meme: presque plus d'essence au moment ou tu trouves une station ? ta decision troublante de ne pas rouler comme un keut de l'Oregon en coupant ton satané moteur en descente (en faisant gaffe car du coup t'as moins d'assistance freinage chenapant...) ? ta volonté de minimiser l'incidence de cette histoire ?
Tu as beaucoup changé Mc Patty depuis cette histoire: la preuve par neuf ? ta main gauche, Mc Patty, j'ai repéré qu'elle ne fricottait plus comme avant avec tes mèches au dessus de ton front... c'est un signe brigand... il se trame un truc du coté de Turin: prends garde l'ami.
Écrit par : greg | 19 octobre 2006
Pov' Mc Patty...
Moi qui vois des conspirations partout, je te dirais de prendre garde, il se pourraît effectivement que tu sois dans l'oeil du cyclone.
Mais que cache finalement votre expatriation ? une sombre histoire d'agents doubles
ne m'étonnerait pas (deux agents double, ça fait 4 ça du coup, chuis perdu là !).
Ne vois-tu pas ces codes sybillins qui te sont suggérés ?!
Gare à toi Gaulois, les intrigants de la Loge P2 t'ont repéré !
C'est bien beau ce blogounet, mais vous ne nous la f'rez pas ; à l'instar des faux-époux Turange, en fait de tourteraux en goguette, il se pourraît fort bien que se cache deux froids et impavides agents de la DGSE.
Zêtes repérés, bas les masques vilains !!!
Écrit par : Laurent (Lolo) | 30 octobre 2006
En tous cas bravo pour la narration de cet évènement kafkaïen McPatty, quel talent !
J'me suis bien marré :-)
Écrit par : Laurent (Lolo) | 30 octobre 2006
Laurent : effectivement nous sommes relativement impavides, voire meme deux pas vides certains jours de grande forme. Et il me parait clair que le SD-6 est derrière tout çà.
Au final je ne sais pas peut etre que ce n'etait pas si kafkaien comme situation, peut etre que je suis juste miraud et que je suis passé a coté d'un truc évident par rapport au fonctionnement du bourier...
merci en tout cas pour tes messages fort sympathiques !
Écrit par : patrick | 31 octobre 2006
ha cool ce passage et alors vous savez maintenant ce que c t ce digitare km
c t pas une statin pour les poids lourds avec une carte spéciale?
en tout cas bien raconter cette petite histoire g bien rigolé!
Écrit par : élodie | 20 janvier 2007